Le Chemin des Dames . 1917-2007 : 90éme anniversaire.

Publié le par Jérôme Theuillon

Il y a 90 ans, à partir du 16 avril 1917, le Chemin des Dames s'embrasait pour une des plus désastreuses offensives de la guerre.
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Un témoin raconte le 16 avril 1917 : Paul Clerfeuille

« Ce matin, 16 avril 1917, date qui restera historique dans l’histoire (nous sommes prêts depuis la veille), après une nuit sans sommeil due aux préparatifs, dans l’inquiétude, les ordres, les contre-ordres, puis enfin dernier ordre, attaque à 5 heures. (…) A 2 h 30, nous devons atteindre à l’est des tranchées, en haut de Craonnelle. Nous y arrivons, après mille détours et contours dans les boyaux, vers 4 h, et nous attendons. Déjà l’ennemi attend, il est prêt, il guette, il bombarde presque aussi fort que nous.

Nous, notre bataillon, ainsi que tout le 273e, faisons partie de la deuxième vague d’assaut. Le pays est très cotoyeux, il faut grimper dans les coteaux et descendre des vallées abruptes et profondes. Nous avons des vivres pour six jours, nous n’avons emporté que le nécessaire. Linge, couvertures, nous en avons fait des petits colis qui sont restés à l’arrière, gardés par des soldats désignés et qui ont leur père, frère, tué aux armées. Les vivres que nous emportons constituent six jours, boîtes de boeuf, porc, sardines, chocolat, pain, biscuit, pâté, café, sucre, haricots et farine, pommes de terre en fécule, etc. Egalement de l’alcool à brûler solidifié qui ressemble à de la crème, pour faire chauffer nos aliments. Egalement du pinard, le café, la goutte mêlée d’éther. Moi, je porte mes vivres, un bidon de goutte, un bidon de café que j’ai préféré au vin, quatre grenades citron, un pistolet automatique, trois chargeurs, une poignée de balles, un couteau poignard dans une gaine pendue à la gauche de mon équipement et, enfin, mon fusil Lebel et ses cartouches, les deux masques à gaz et sans oublier mon casque.

Avant de partir, nous avons fait une petite bombe ; comme nous ne savons pas si nous en reviendrons, il fallait en profiter ; une courte lettre à sa famille, presque un adieu, et en route !

A présent, voici une heure que nous attendons ; la première vague part, mais est aux deux tiers fauchée par les mitrailleuses ennemies qui sont dans des petits abris en ciment armé. Nous devrions être partis depuis trois quarts d’heure. Nos camarades de la première vague ramènent 30 prisonniers, puis c’est à nous de partir, car le signal est donné à notre régiment. C’est le premier bataillon qui part le premier, puis le nôtre. Hélas, nous sautons sur les parapets et arrivons sur la petite route de Oulches à Craonnelle où aucune circulation n’a lieu depuis quatre ans, puis nous sautons dans les champs ; les mitrailleuses et les obus pleuvent autour de nous ; nous heurtons des morts de la première vague, ainsi que de notre régiment parti il y a 15 minutes.

A gauche, une mitrailleuse en batterie dans le coteau, les deux mitrailleurs sont tués ; çà et là épars, des morts et des mourants. Nous passons près du capitaine Renard, tué il y a 10 minutes. (…) En haut, il y a une crête, il faut coûte que coûte y arriver. C’est notre point d’arrêt dans le plan ; y parvenir n’est pas chose facile. La température s’en mêle, le ciel s’assombrit et la neige tombe en gros flocons comme en décembre. Enfin, après mille péripéties, nous arrivons à cette fameuse crête : nous avons laissé de nombreux morts et blessés en route. (…) Moi qui ai entendu parler du plan, je sais qu’à cette heure nous devrions déjà avoir passé Craonne et être dans la vallée de l’Ailette. Je dis aux camarades : “ ça ne va pas ! ” C’était vrai. (…)

Le temps passe, il y a quelques blessés et tués parmi nous. En haut, la première vague est blottie dans les premières tranchées ennemies et tout est ralenti, le plan d’attaque du général Nivelle est raté. La crête qui est devant nous nous abrite beaucoup ; maintenant, chacun est dans son trou. Il est midi, les Allemands répondent terriblement à notre artillerie qui pourtant n’est pas en reste. (…)

Enfin, la nuit arrive avec ses heures d’angoisse ; il arrive aussi un ordre de monter en haut du plateau de Craonne pour prendre position. Nous partons vers 8 heures du soir par une nuit obscure ; l’ennemi ralentit son bombardement ; nous marchons en tous sens pendant 4 heures dures et pénibles, nous gravissons des ravins, redescendons, heurtons à chaque pas des morts. Il y a bien quelques Allemands, mais très peu. Tous les soldats français que nous rencontrons en ce moment sont du 127e et du 327e RI. Derrière nous, nous avons laissé des morts du 33e, du 73e et du 273e.

Enfin, vers minuit, nous arrivons à l’endroit qui nous est désigné et que nous cherchons dans le chaos, les trous d’obus, les morts, les ténèbres, les engins de mort, la faim, la soif, l’inquiétude et la fièvre.

Nous remplaçons un bataillon qui n’a presque plus personne, mon escouade va remplacer une escouade de grenadiers qui tous furent tués par un obus allemand. Ils étaient blottis dans l’entrée d’un gourbi allemand. L’obus tomba malheureusement dans le groupe. Pas un seul n’échappa à la mort. Quelques-uns agonisèrent lamentablement, sans que, dans cet enfer, il fût possible de les secourir. Quelques-uns, avant de rendre le dernier soupir, eurent la force de se traîner 5 à 6 mètres. Ils sont tous là, pêle-mêle, je garde le souvenir de l’un d’eux, mort, tombé sur le dos, le bras gauche en l’air comme s’il faisait voir les cieux ; il a au poignet une montre bracelet. Quelle lugubre vision ! (…) Le temps passe, bientôt le jour pointe. Nous en profitons pour aller à la première section chercher une caisse de grenades. Pour traverser en face de la mitrailleuse, nous marchons à 4 pattes et même nous rampons. Nous arrivons à 80 mètres environ. Quel spectacle ! des tas de morts du 127e, 73e et 273e. Nous en sommes écoeurés, nous avons les larmes aux yeux. Quelques Sénégalais, morts eux aussi, plus à gauche. Le jour arrive, mardi 17 avril, nous sommes gelés et une eau glaciale a succédé à la neige. (…)

(18 avril) C’est l’enfer ; le papier ne peut contenir et je ne puis exprimer les horreurs, les souffrances que nous avons endurées dans ce coin de terre de France ! Il faut y être passé pour comprendre. »


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Mémoires du Chemin des Dames

Les survivants:

« Le 19 mai : au loin, les ruines de Craonne ! J’y vais: gratuitement, par curiosité. Dans les ravins, ordinairement très battus, il ne tombe rien. J’erre dans les tranchées écrasées, où Sénégalais et Boches en putréfaction gisent abandonnés. (…) En revenant vers Craonnelle, toujours le même spectacle: terre éboulée, chiffons, débris, cadavres du 16 avril. »

Jean-Pierre Biscay, Témoignage sur la guerre 1914-1918 par un chef de section

« Je repense aux blessés du Chemin des Dames. Je revois toujours leur visages terreux, apeurés, luisant de sueur, inondés de larmes. Je n’oublie pas leurs suppliques. Je sens encore leurs mains m’agripper à ma blouse souillée : – Camarade ! moi ! moi !... »

Henry Meyer, infirmier, cité par R. Boutefeu, Les camarades


 Source : Crid 14-18

Publié dans Histoire 3eme

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